Critique EPIZOO Marcel.lí Antúnez Roca

Pour la troisième année consécutive, Marcel.lí Antúnez Roca fait l’honneur de présenter au public du festival « Emergences » toute l’étendue de son talent. Depuis son retrait de la Fura del Baus, Marcel Li devient à l’instar de Stelarc, l’un de ceux qui interroge le mieux la multitude des interfaçages cybernétiques entre l’homme et la machine. Avec la gageure de vouloir saisir son art hybride et à multiples facettes, alors qu’il se veut totalement insaisissable, nous développerons ici que quelques traits d’Epizoo, son premier spectacle mechatronique.
En ne démordant pas de sa filiation punk et ses pendants anarchistes – c’est-à-dire du rapiéçage de morceaux antagonistes (cuts up en tout genre issus de fantasmagories et frasques dadas ou surréalistes, empreints de la culture de l’absurde par des expérimentations provocatrices et vécues de manière intensive et extensive) –, Marcel.lí Antúnez Roca tisse un regard sans précédent sur la culture numérique. Et Epizoo, performance si bien nommée par son auteur, comme contraction d’epizootia : maladie infectieuse et contagieuse, demeure le germe symbolique par lequel le corps est soumis à la contamination du parasitisme technologique
Dans le registre des performances classiques, et de l’installation de « mobilier humain » statique, le corps de Marcel Li Antunez Roca se fait marionnette, toutes expressivités passant sous le couvert de l’action de la machine qui phagocyte tout son corps. Le performeur est placé en stature debout sur une plate-forme tournante. Sa taille est engoncée dans un corset de métal, lui ceignant les fesses et les seins. Sa tête est couronnée d’un dispositif relié à différents organes de son anatomie faciale : le nez, les oreilles et la bouche. Il n’est plus qu’un tas de chair malléable s’offrant au public et à la merci des servomécanismes que le public actionne. L’interface des bourreaux « sadiques » est la souris d’un ordinateur.
Projeté derrière le pantin humain, où évolue le curseur, un autre corps est présenté. Peut-être s’agit-il d’un corps libéré de toutes entraves et qui ne demande, en fait, qu’à recevoir le châtiment qu’il mérite : le désir masochiste de se faire dominer par la machine ? Pour souligner l’autonomie de la machine sur l’homme, avant chaque intervention du public sont présentées différentes saynètes, un moment où le logiciel reprend ses droits en imposant sur le corps du performeur un savant algorithme de mouvements.
Ici, se dessinerait la figure du cybermartyre, ou celle du jouet humain, qui s’offre à corps perdu sur l’autel de la technologie. Seulement, la machine n’est pas que l’intermédiaire de l’intentionnalité du spectateur, les intentions premières appartiendraient à celui qui a imaginé la machine et les imageries numériques qui vont avec. Le devenir érotique et fusionnel avec la machine est ici inéluctable, il suffit de lire Crash de Ballard pour se convaincre que leur destin est désormais scellé. En partant de cette vieille peur enracinée dans notre inconscient collectif, de domination de la machine sur l’homme, l’homme devient volontairement l’esclave de celle-ci et de ses opérateurs.
Qui n’aurait jamais aimé posséder une poupée de chair ? Ni être placé en aussi inconfortable posture ? Cela ne doit pas nous heurter, ni nous choquer, outre mesure, car même si Marcel Antunez Li Roca ne se prend pas au sérieux, jouant le satire masochiste « sympathique », bouffon ou fripon de toutes espèces, il interroge le pouvoir que l’on impose au corps par l’entremisse de la machine. Et plus précisément, il nous convoque à appréhender l’érotisme inquiétant qui se dégage des effleurements et enlacements entre la chair et le métal. C’est peut être ceci, cette contamination au nom d’Epizoo. C’est à dire la mise en exergue de l’assujettissement de l’homme par la prolifération contagieuse de la machine : notre quotidien, jusque dans ses recoins les plus intimes, est parasité par celle-ci. Ce pacte de fusion homme/machine, s’il en est un, serait investi de l’ombre de Thanatos et d’Eros, une fascination – alliance de répulsion et d’attraction – qui nous pousse à croire que leurs destins sont irrémédiablement liés.
Ce paradigme résumerait bien toutes les productions artistiques postérieures de Marcel.lí Antúnez Roca, sachant qu’Epizoo est sa première performance solo. L’une des suites possibles pourrait être Résistance-Tantale, présentée à la Maison Européenne de la Photographie lors du festival « Art Outsider 2004 ». Dans cette installation, l’artiste prend à partie le public en lui demandant d'introduire son visage dans une boite en fer, où une courte séquence vidéo est capturée, déclenchée par le son de la voix. Après traitement informatique le visage avatar est immergé dans un univers totalement délirant. En mêlant anachronisme vestimentaire, corps dégingandé, fantasmatiques et érotisés, le nouveau double évolue dans une dimension absurde et onirique. En nous faisant une nouvelle fois perdre la maîtrise de nous-même, la machine devient l’instrument du détournement de nos propres identités.
La fascination pour la cyberculture des premières heures, ne se dément dans aucune des œuvres de Marcel.lí Antúnez Roca ; même, si avec le temps, la promesse du cybersex reste pour le moins compromise, tant que l’on ne possèdera pas les interfaces adéquates. Qu’adviendra t-il alors ? Nul ne le sait. Les chemins de traverses du futur, comme ceux que dressent Marcel.lí Antúnez Roca, nous permettent de distinguer certaines résistances ou projections à ce sujet.
 Tout comme chez Marc Pauline, dont Marcel Li Antunez Roca semble être l’un de ces dignes successeurs, on remarque cette même fascination pour l’objet technique et les appréhensions qu’il soulève : l’un emprunte les voies du low tech, du re-conditionnement de la junk - poubelle, détritus - industrielle et l’imaginaire post-apocalyptique de notre devenir, tandis que l’autre, interagit au plus près du corps avec la machine, pour y montrer toutes les formes relationnelles qu’engendrent cette compromission. Tous deux ont ce regard éclairé qui, à défaut de coller au réel, nous nourrit de leurs imaginaires débridés et qui ne comporte pas moins une critique insidieuse, mais vive, de notre société.

(1) Il est à noter qu’en de nombreux aspects leurs parcours est similaire. A ces débuts, Marc Pauline fut le membre d’un des premiers groupes de musique industrielle juste après l'apparition du punk, SPK (Surgical Penis Klinik). Il fonde par la suite le Survival Research Laboratories (SRL 1978) et met en scène des spectacles/performances que de nombreux auteurs désigneront par la suite comme Cyberpunk ou Heavy metal… 

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