Critique Clayton BURKHART et Ruddy CANDILLON

Deux photographes, deux visions de la nuit... L’un est mondain et aime à pénétrer dans la sphère de l’intimité du strass paillette des mondanités nocturnes ; l’autre dénonce l’anonymat et la perte de soi sous le jour artificiel des lumières spectrales new-yorkaises. Outre l’obscurité et la lumière pour seules étoffes de leurs rêveries éveillées et paradoxales, la coexistence de ces deux artistes en un même lieu d’exposition tient à leur fascination commune pour la libération des énergies comprises dans tous les corps et lieux. Et ils nous persuadent que la nuit est habitée par des créatures de lumières et que d’autres réalités sont à la portées de nos sens. Encore faut-il être à même de les capter et leur donner forme… C’est ce que s’attachent à accomplir, de fort belle manière, Claton Burkhart et Ruddy Candillon.
 On a le souvenir de cette exposition intitulée le Troisième œil qui s’est déroulée à la Maison Européenne de la Photographie, retraçant les commencements de la photographie du XIXème, comme l’un des plus sûr moyen de capter les forces occultes, les phénomènes inexpliqués ou paranormaux. Face à ces photographies le doute est permis, car nous ne savons si elles sont bien réelles ou seulement des accidents, trucages à la Méliès, ou des coups de pinceaux directement appliqués sur des plaques photo-sensibles. Y transparaissaient des formes fantomatiques, dédoublement de corps, corps lumineux astrales et protoplasmiques. Les explications de ces évènements n’en convainquent que certains, tandis que d’autres crient à la supercherie et à la négation de ce qui dépasse notre entendement. Et prétendent que le cercle de ses fervents croyants en un outre-monde interstitiel sont des fous à lier de la pire espèce. Il courrait dans les esprits de ces illuminés un vent de folie, mais c’est omettre les subjectivités et les imaginaires que suscite la nuit. 
Une explication plausible s’offre à nous : c’est par le truchement de l’appareil photographique et certains ingénieux artifices que nous nous réapproprions ce qui ne peut être vu. Aveugles que nous sommes, la sensibilité artistique vient au secours de la perte de cette magie nocturne et nous la fait redécouvrir, transfigurée. 
Photographiquement parlant, comment rendre compte de l’intensité énergétique qui traverse des villes telle que New-York, une ville en constant sommeil paradoxal, où les habitants rêvent éveillés, entre conscience et inconscience, baignés dans l’illusion d’une aliénation collective sans failles, puisque partagée de tous. De cette ville qui rêve, Clayton Burkart la dépeint par des lumières qui se télescopent, s’agencent, pour devenir de pures abstractions colorées et ambiantales. Les corps flous se discernent à peine, pour devenir des êtres fantomatiques et impersonnels. Peut-être s’attache-t-il à retranscrire un regard halluciné, piégé dans ses confusions optiques d’une vision expressionniste, marquées par l’ivresse ou l’accumulation de la fatigue d’une nuit blanche. En portant les lunettes qu’offre ce photographe, nous nous désengageons de toutes considérations du réel pour pénétrer dans celui des dérives urbaines tardives et de l’onirisme. 
Pour Ruddy Candillon tout est transparence, agencement de micro-mouvements à vitesses variables qui font littéralement exploser le prisme des couleurs. Les couleurs selon Goethe sont l’expression de nos humeurs, et la nuit qu’enveloppe ses modèles ou paysages photographiés offre une palette de sensualité, d’érotisme à la fois romantique, licencieux et parfois même, mortifère. Ces images nous renvoient à une vision schizophrénique de nos propres existences, c’est-à-dire accablées par la matérialité unidimensionnelle du réel, nous nous élevons vers des sphères toujours plus immatérielles et marquées par la duplicité de nos sentiments. Ces corps traversés d’ondes karmatiques fluorescentes feraient parties du monde des nymphes, des démons... Nul ne peut les saisir, leur nature étant à jamais inaccessible. 
Ainsi succède à l’occultisme de la pellicule photographique noire et blanche, l’alchimie chatoyante et colorée des techniques photographiques actuelles. Tout compte fait, il ne s’agirait plus d’esprit, de karma, ni d’un quelconque corps astral, mais d’une vision surréaliste et exacerbée de la vie. Claton Burkhart et Ruddy Candillon se rapproprient ce fond commun à toutes cultures : lorsque la nuit tombe sur le monde, les esprits ses libèrent de leur gangue rationnelle pour laisser libre court aux enfers et paradis du vécu. 

Galerie 13 Sévigné
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