Texte L'EXEMPLARITE DE MARK PAULINE

Résumé de l’intervention lors de la venue de Corrado membre des Mutoid Wast Company lors d'une séance du Groupe de Recherche sur l'Image en Sosiologie

Cette intervention est somme toute un repérage, une mise en relief nécessaire, afin de présenter ce qui va suivre dans le cadre de cette séance GRETECH/GRIS. En l’occurrence nous présenterons Mark Pauline membre du groupe Surgical Penis Klinik (SPK) et fondateur du Survival Research Laboratories (SRL). Ce dernier peut être considéré à juste titre comme un artiste « hors norme », « extrême » qui fait lien entre deux mouvements culturels underground émergeant : la musique dite « industrielle » et la constitution de spectacles/performances que nombreux nomment Cyberpunk, Heavy metal… Spectacle intronisant une nouvelle théâtralité du vécu selon les nouveaux rapports qui s’établissent avec le devenir technologique

Je tiens à préciser que les bases de cette réflexion ont été inspirées par Mark Dery dans son livre Vitesse virtuelle, la cyberculture aujourd’hui 1 et par un article d’Emmanuel Grynspan La musique industrielle malaise dans la culture 2. Pour obtenir des informations supplémentaires sur les visuelles, je vous invite à consulter le site http://www.srl.org, et visionner la vidéo de Mark Pauline intitulée Villa Despair.

Avant de commencer cet exposé, je vais dresser un bref historique afin de restituer les bases constitutives de l’émergence de cet imaginaire fédérateur :

- 1977 Avènement du Punk

- Septembre 1978 Fondation de SPK

- Avril 1978 Première participation au « Punk Art Show » à l’institut d’art de SF avec le « Mean Madonna »

- 1979 Pauline fond le Survival Research Laboratories et met au point ce que nomme Mark Dery un « théâtre de la cruauté heavy-metal » en référence à Antonin Artaud avec Chico Mac Murtrie et Bret Golstone

- Constitué au départ en Australie, ils cheminèrent jusqu’au berceau de la culture Underground : San Francisco.

Dans toutes ses créations nous voyons s’établir une esthétique novatrice qui fait désormais référence dans le domaine des arts et spectacles : une esthétique de la cruauté, violente, sans compromission d’aucune sorte qui interroge l’hybridation en devenir de l’homme et la machine, et sa place dans l’humanité. On ne peut qu’évoquer le régime de fascination que cela suscite pour les littérateurs de Sciences Fiction et d’Anticipation tel que : Bruce Sterling, John Shirley et surtout l’inventeur du cyberpunk : William Gibson. Ce dernier en hommage à Pauline a créé le personnage de Slick Henri, roboticien clandestin, bricoleur de robots dans son livre Mona Lisa s’éclate.

Survival Researh Laboratories

Ce laboratoire de fin de millénaire est la figure de proue de la révolution « low tech ». Pauline a pour compagnons dans ses expérimentations Chico Mac Murtrie et Brett Goldstone. Deux autres « artistes roboticiens fous » qui s’emploient à recréer des vies autonomes cybernétiques (androïdes et animaux de toutes sortes) en bricolant des machines récupérées dans des décharges. Ils prônent ainsi le recyclage, l’extraction de pièces détachées, de déchets et de résidus de toutes sortes. Enfin, les « restes » qu’une société de consommation ne veut plus, et qui par acquis de bonne ou mauvaise conscience fait en sorte de les entasser ou pire encore, hors de sa vue, de les « perdre » et nier leur existence. Pauline parle de « chapardage agressif » : ce serait une cannibalisation des outils technologiques, et ce, en réinterprétant et en se réappropriant les outils technologiques de pointes. Pour eux la « techno-compétence » serait une puissance créatrice, et peut-être même un nouvel instinct de survie.

Ainsi, le SRL à sa manière poursuivrait dans ses spectacles l’imaginaire qui se dresse depuis les statues parlantes grecques, les automates de Vaucanson au XVIII, le Golem de Prague de la Kabbale juive, Frankenstein de Mary Shelley. Plus proche de nous encore, les poupées érotisées et mutantes de Hans Bellmer, les poupées mécaniques et le théâtre mécanique de Bauhaus d’Oscar Schlemmer, les automates de Tinguely... Toutes ces figures sont la métaphore prophétique annonçant la recréation de l’humain et d’une symbiose avérée entre la chair et la machine. Avec la cybernétique et les bio technologies, elles sont promus à de nouvelles matérialisations. Il faut ajouter à cela que SRL met en scène la disparition de l’humain dans un univers désormais hypertechnologique.

Pour certain, il concrétise la fantasmatique de J.G.Ballard et de W.S.Burroughs, dans le prolongement et la fusion du corps avec la machine et la mise en œuvre d’interfaces et de prothèses… On peut souligner cet aspect fusionnel dans l’un de leur premier spectacle qui s’intitule Machine Sex (création de situations où, absurde et humour, se conjuguent dans un cocktail détonant)

Surgical Penis Klinik

SPK dont fait partie Mark Pauline est l’un des groupes constitutifs de la musique « industrielle » avec Trobbing Gristtle, Cabaret Voltaire… SPK a fait partie du premier label indépendant « Industrial Record », créé par les membres de Throbbing Gristle, dont l’une des figures de proue n’est autre que le charismatique Genesis P Orridge. SPK reprit des textes de Baudrillard (L’échange symbolique et la mort) et de Foucault (Histoire de la folie et Histoire de la sexualité). Cette musique est en droite lignée de groupes tels que Joy Division, Kraftwerk, pour ne citer que les plus connus. Ils entretiennent cette même fascination pour les bruits roses et blancs. Ceux même qui sont produits, éructés par les sons de guitares électriques saturés (larsen), les synthétiseurs et sampleurs, les machines et les chaînes de montages industrielles.

De cette union anarchique et chaotique, on voit apparaître un nouveau type de spectacle in progress en élaborant un « concert-théâtre-performance ». En d’autres terme, un dispositif spécifique multi-modale et multi-sensoriel qui effectue une prise de contrôle sur toutes les dimensions du vécu : sur les sons machiniques et tonitruants et une composition musicale déconstruite et extrême, la mise en place d’une iconographie visuelle (projection de films expérimentaux) et vestimentaires (incarnation de la violence guerrière, et patchwork anachroniques hérités du punk), le spectateur devient acteur d’une chorégraphie chaotique (le pogo et ses gestuelles portées ou simulées d’un combat réel ou imaginaire), avec des troupes de spectacles de rue perpétuant la tradition du cirque et des troupes de troubadours (jonglage, cracheurs de feu, mascarades en tout genre… ) et enfin la mise en scène des monstruosités machiniques de Pauline et du SRL dont nous avons esquissé les traits plus haut.

Par cette pratique consummatoire, cette théâtralisation n’est autre que la métaphore tragique d’une culture « agonisante » et « décadente », qui dans ses soubresauts convulsifs et nihilistes recherche en vain un échappatoire. Autrement dit, cette manifestation initiatique et mystique serait la concrétisation tribale et nomade du théâtre de la cruauté d’Antonin Arthaud, devant les germes d’une « peste » technologique les seules alternatives se trouvant être « la mort ou la guérison ». Il faut mentionner que ce mouvement hautement contestataire développe une critique vive de la société. En utilisant les théories situationnistes comme grille de lecture, ils remettent en cause tous les préjugés culturels liés au progrès, à la consommation et autres « disneyfications » et abrutissement de masse. Il suffit de lire certains écrits d’Umberto Ecco et de Peter Sloterdjik pour s’en convaincre.

Leurs critiques ne sont pas vaines et ils prônent l’auto-production, l’indépendance vis à vis des réseaux de diffusions classiques, de même qu’une indépendance radicale vis-à-vis du marché de l’art. Leurs dignes héritiers sont les communautés de P2P, les collectifs et les squattes d’artistes, qui font en sorte de développer de nouveaux modes de vie expérimentaux.

Conclusion

La contribution de Mark Pauline dans SPK et le SRL, n’est bien sur qu’une parmi tant d’autres. Mais par ce choix, nous embrassons une grande partie de la nouvelle vague des cultures underground émergeantes au début des années quatre vingt. Il influença de nombreux artistes par son esthétique novatrice et critique. Par cette théâtralisation performative et cathartique contre la société de consommation, ces acteurs formulent une fantasmatique autodestructrice de la technologie, pour recentrer le débat de l’action de l’homme sur lui-même et sur son environnement (biosphère). Nous ne sommes plus dans la démonstration d’un progressisme bien pensant mais dans une critique exacerbée et radicale. Enfin pour finir ce bref exposé, leurs créations intronisèrent les nouveaux dispositifs multimédias actuels, je pense notamment à Marcel Li Antunez Rocca, artiste provenant de la scène punk espagnole, membre fondateur de la compagnie Fura dels Baus qui désormais s’intéresse tout particulièrement à l’interaction homme/machine et aux œuvres immersives multimédias.

1 Mark Dery Vitesse virtuelle : la cyberculture aujourd’hui (Publié en langue anglaise sous le titre : Escape velocity : cyberculture at the end of the century, traduit par George Charreau, Ed Abbeville, Coll Tempo, Paris, 1997, 365p)

2 Emmanuel Grynspan La musique industrielle malaise dans la culturehttp://asso.lrsh.free.fr/textes/malaise%20dans%20la%20culture.htm

Publié sur le site du CEAQ