Critique DE L'ART SI JE VEUX

DE L'ART SI JE VEUX a été réalisé par Nicolas Clauss, Samia Ahbizat, Meïssa Belharat, Yannis Boukhalfa, Coralie Geslot, Amélie et Anthony Fisson, Jean-François Goyer, Houria Zenasni dans le cadre d'une résidence à l'@telier multimédia : ECM et Cybercentre de l'Espal au Mans en 2004. Cette réalisation est l’histoire d'une rencontre entre l’artiste multimédia Nicolas Clauss et un groupe d'adolescents du quartier des Sablons au Mans. De cette rencontre spontanée, il en résulte un travail de sensibilisation aux œuvres et aux artistes majeurs de l’art moderne et contemporain sur plusieurs mois.
A force d’imprégnation, ces jeunes (entre 11 et 16 ans lors du projet) au départ néophytes, nous restituent leurs impressions au regard de leur expérience vécue personnelle. Leurs interviews et leurs créations d’images fixes et animée rythment l’ambiance. Ambiance accompagnée par une musique lancinante et expérimentale propice à la réflexion. Le résultat, un site attractif soulevant une problématique pédagogique importante : la réception de l’art sous toutes ses formes plastiques par de jeunes adolescents de quartier populaire. Un travail qui s’apparente à celui de la médiation culturelle ou de la sensibilisation à l’art contemporain en dehors de son champ d’appartenance social et culturel, et du cadre de son enseignement structuré et normé par les instances artistiques et étatiques (Histoire de l’Art, Art Plastiques ou bien encore Beaux-Arts).
Ce travail de décloisonnement offre à un public « ignoré » l’opportunité de s’exprimer et de faire parler une œuvre d’art selon ses propres expériences personnelles. Nous ne sommes plus dans le domaine de la critique, du bien pensant face à une oeuvre, mais bien du ressenti. Les images qui sont mises en animation et en musique, dont on reconnaît la patte de Nicolas Clauss, respectent leurs émotions, leurs synthèses et leurs interrogations face à l’art contemporain. Les présupposés que véhicule l’art en général, tel que la difficulté d’accès, son « occultisme », fruit d’un apprentissage du regard et de l’assimilation de théories et de notions (clés de la perception esthétique) volent en éclat, et ce site nous restitue un imaginaire neuf et haut en couleur.
En page de présentation se dresse un carré divisé en neuf cases, permettant l’accès aux neuf saynètes. Les artistes qui y sont présentés sont les grandes figures de l’art contemporain de la fin du XIX ème au XXI ème siècle. L’une est dédiée à Marcel Duchamp et traite de toutes les interrogations que suscitent sa démarche artistique : le ready made, LHOOQ, Rrose Selavy… l’autre au Cri d’Edvard Munch. Dans ce module les jeunes ont filmé et interviewé le public de l’Espal au sujet du tableau de Munch. Ces deux artistes ont changé par leurs contributions respectives l’histoire de l’art, l’un par son expressionnisme naissant, l’autre par la réification de l’objet de consommation en œuvre d’art. Ce thème de l’objet est transversal, il se décline dans sa destruction et sa combustion avec Arman ou d’objet de cuisine comme dans les « tableaux pièges » de Daniel Spoerri. Ces derniers fondèrent avec Klein une nouvelle approche perceptives du réel : le Nouveau Réalisme. Une autre thématique est récurrente dans ce travail, c’est celle de l’altérité. Nous l’appréhendons dans l’association éclairée du monstrueux des frères Chapman et de l’effroi de Maurizio Cattelan, ou bien encore dans la monstruosité en puissance du portrait selon Francis Bacon.
Outre les changements de paradigme de l’art contemporain et des émotions véhiculés ici, ce site est avant tout un lieu d’expression personnelle. Les adolescents se prêtent au travail d’écriture et d’interrogation sur l’art selon Ben ; ou s’essaient à la mise en scène et aux graffittis avec Jean Michel Basquiat. Il est si justement dit dans une saynète, que nous sommes dans une « simulation critique de la représentation ». Pour finir, dans le memo une partie de l’équipe de l’Espal (directeur, techniciens, régisseurs, administrateur…) présente un objet chargé de mémoire intime, ou le dévoilement de soi par un objet, fidèle à la démarche de Christian Botlanski Les phrases écrites par les adolescents, en surimpression sur la page web, correspondent à une biographie imaginaire d’un personnage non moins imaginaire : Boris Lanchitanski (anagramme de Christian Boltanski). Le nom du fichier memo renverrait à l’idée d’un mémorial numérique de l’Espal.
Comme nous pouvons le discerner, les saynètes De l’art si je veux ne sont pas hermétiques les unes aux autres. Elles font même système entre ces artistes et ces jeunes. Il pose, ce système, les mêmes questions fondamentales, mais dites de manière différentes, plus franches, au regard de l’adolescence, plus naïves. Qu’est ce que l’art ? Que peut il nous apporter ? Qu’est ce que le goût ? Le beau ? Autant de questions non résolues, si ce n’est que l’art devient dans cette œuvre multimédia, en mêlant différents types de narration (interviews, musique, animation, séquences filmée, photomontage, dessins, texte…), une célébration du quotidien, une agora virtuelle où chacun peut faire partager ses émotions aux autres. Nous voyons ici le renouvellement d’une expérience qu’a déjà effectué par Nicolas Clauss avec Cinq ailleurs (liens : http://www.cinq-ailleurs.com/), où il retrace les « ailleurs » de cinq personnes habitants les Muraux. Cette œuvre en ligne fera l’objet d’une exposition comprenant 4 installations interactives en mai prochain au Mans. Elle sera mise en scène par Jean-Noël Montagné au théâtre de l’Espal.