Critique NICOLAS SCHOFFER

Ballets de Lumières est une exposition rétrospective des œuvres créées par NICOLAS SCHOFFER de 1951 à 1978. Il fut le premier artiste à s’inspirer directement du développement de la science de la cybernétique. Sont présentées lors de cette exposition les principales contributions annonciatrices de l’art numérique et multimédias, du vidéo-clip, de l’architecture/sculpture en interaction avec son environnement, du milieu urbain considéré comme programme homéostatique et métastable… Dès l’entrée de l’exposition, nous sommes immergés dans un univers luminescent et réactif, fait de forêt d’arbres métalliques, de boîtes mystérieuses iridescentes et bruyantes, de trompe-l’œil et de trompe-sens en tous genres. Le Spatiodynamisme, le Chronodynamisme et le Luminodynamismes, autrement dit : l’espace, le temps et la lumière, sont les éléments transversaux et immatérielles de sa rhétorique créative.
Sous le regard attentif et amusé du visiteur, il s’instaure un heureux décalage du regard. Comme si le temps d’une exposition, nous nous surprenions à être immergés aux premières heures du cinéma expérimental, des expérimentations psychédéliques ou de la science-fiction. C’est justement ce rapport entre fiction, science et réalité qui fait toute l’originalité et l’actualité de cette exposition. Ainsi, bien que sous-estimé pendant de nombreuses années au profit de l’informatique, « l’art de gouverner » qu’est la cybernétique (élaborée par Norbert Wiener) revient depuis peu sur le devant de la scène.
Le rez-de-chaussée de l’espace EDF Electra est en partie consacré au Spatiodynamisme. On peut y contempler notamment les maquettes de la Tour de Rio (Chronos 3 B), la fameuse Tour de Lumière Cybernétique (TLC), projet destiné à la construction du quartier de Paris-La défense, ainsi que les Spatiodynamismes 20 et 25. Une pièce est consacrée aux Micros-Temps : une série de travaux s’adressant à la perception cérébrale, « au-delà de la perception rétinienne ». En fin de parcours, il est disposé dans le renfoncement d’un mur un exemple d’« Effet diversificateur optique » qui s’intitule Soleil.
Au premier étage sont présentées les sculptures évènements Chronos 10 et 13, machines de lumières animées pourvues de programmateurs électriques. De la conception du Prisme, espace virtualisé par des jeux de lumières programmés et les réflexions infinies de trois miroirs disposés en triangle, Schöffer élabora deux projets : Centre de réflexion prismatique et Cathédrale œcuménique. Ces deux derniers travaux, avec celui du Centre de loisirs sexuels présenté en sous sol, cristallisent les préoccupations de son époque. En l’occurrence celles d’une quête de spiritualité en résonance avec les nouveaux paysages urbains et mentaux qui se dessinent pendant les années cinquante aux soixante-dix. Lumino et Mini Effet sont des objets « designers » et ont été destinés à la commercialisation. Le premier, inspiré du Mur de Lumière, est destiné à la recherche médicale pour ses effets calmants sur la psyché. Le second est une boîte ludique avec laquelle on peut créer ses propres jeux de lumière.
Fidèle à sa célèbre citation « un monde sans information est un monde sans stimulations », Schöffer, en quête de nouveaux supports d’expression et de socialisation de l’art, s’intéresse tout naturellement aux mass-médias. On peut ainsi visionner au sous-sol ses expérimentations cinématographiques et télévisuelles : Variations luminodynamiques, Jazz et Mayola. Dans une second salle, les projets qui ne purent voir le jour, tels que le Centre de loisirs sexuels, La TLC de Paris-La Défense, La maison luminodynamique et le Centre Pompidou ont été modélisés en 3/D par un architecte. On ne peut que féliciter cette action, car, hormis l’hommage qui est rendu à l’artiste, ces Scénarii architecturaux réactualisent ses environnements et ambiances et les font rentrer de plein pied dans le XXI ème siècle. Pour perpétuer cet volonté pédagogique et informative qu’avait l’artiste, sont proposés une visite virtuelle de son atelier du XVIII ème arrondissement et le visionnage de ses conférences et entretiens sur des postes d’ordinateurs.
Il faut préciser que tout au long de l’exposition sont présentés divers documents d’époques qui suivent pas à pas son évolution créatrice, parcours qui le poussa à créer des sculptures, des installations, des architectures, des environnements urbain, du design, de la musique, un ballet et la rédaction de nombreux essais théoriques… Enfin tous les ingrédients permettant de mener à bien une œuvre d’art multi-sensorielle et total, au sens wagnérien du terme. Ces œuvres sont intemporelles, car nous sommes en présence des fondations d’une esthétique prophétique qui se poursuit jusqu’à nos jours. Pour preuve, la Tour Lumière Cybernétique fut présentée en 2001 par Eléonore Schöffer au maire de New York pour la reconstruction du Ground Zero. Ces « effets » rétiniens et neuronaux sont toujours autant stimulants, car elles répondent aux attentes d’un imaginaire fédérateur issu de la cybernétique.

Espace EDF-Electra

Publié sur ParisArt.com