Critique GAME PLAY

Compte rendu de la performance Gameplay au Cube qui a eu lieu le dimanche 11 décembre 2005.

Gameplay est le fruit d’une rencontre pour le moins improbable, entre un performeur et l’algorithme d’un ordinateur, générateur d’un environnement de formes abstraites et semi-autonomes. Cette performance est le fruit d'une collaboration entre l’artiste programmeur Antoine Schmitt, les chorégraphes Jean-Marc Matos et Anne Holst de la compagnie Kdanse et le danseur Benjamin Aliot-Pagès.

A travers la notion d’« épreuve physique », la volonté de ses créateurs est d’engager un dialogue intense entre l’homme et la machine, machine symbolisée par une entité lumineuse, polymorphe et sonore. De cette trame narrative, simple et efficace, naît la volonté de chacun des protagonistes, de confronter son altérité à celle de l’autre : un corps physiologique, soumit à la gravité terrestre, emprunt de la fragilité propre à toute vie organique, et une entité cybernétique intangible et tenace. Tel un ring de boxe, l’espace carré blanc, devient le théâtre en huis-clos d’une tentative de domestication réciproque de ces deux acteurs. Reste le seul point commun, avec lequel ils vont âprement débattre : le mouvement. Pour l’un, il est de l’ordre de l’expression corporelle et de l’investissement physique, emprunt des résistances et des lassitudes inhérentes à toutes dépenses ; pour l’autre, ses mouvements correspondraient à la générativité et à l’interactivité. Pour précision, cette communication s’élabore suivant la conjonction de trois niveaux de sens : le premier relève de la gestualité chorégraphiée du danseur ; le second, de la programmation interactive, inspirée par les jeux vidéos, enfin le troisième, fait la part belle au son. Les premiers principes explicatifs étant posés, il nous faut dès à présent vous raconter l’histoire de cette rencontre haute en couleur et en rebondissements…

Au début de cette performance, rien d’autre que le danseur, seul avec son ombre. Interloqué, il tente de l’appréhender, mais elle ne correspond pourtant pas à ses attentes, son ombre est par trop synchrone avec les mouvements de son corps.

Survient alors, une première forme rectangulaire qui l’emprisonne. Allongé, il se débat, et ne comprend pas pour quelle raison elle l’enserre. Tant bien que mal, il arrive s’échapper de son étau. Pour susciter sa curiosité et le ramener à lui, le rectangle prend tout l’espace et place en son centre une sorte d’étincelle bleu, abstraction d’une vie zoomorphique électronique Le danseur souhaiterait la toucher, mais sans cesse elle lui échappe en bourdonnant.

Serait-elle, cette entité, à son tour craintive, après l’avoir si violemment contenu en elle ? Ou veut-elle se jouer de lui, ou bien, lui se jouer d’elle ?

La proto vie se transforme en de longues barres blanches qui traversent de part et d’autre le terrain, de façon verticale. Ne sachant littéralement, sur quel pied danser, le performer les évite et temporise entre elles. Le tempo va crescendo, à en perdre haleine, éreinté ou affolé, le danseur finit par tomber sur le sol. Les formes se suivent mais ne se ressemblent pas. Voici que l’entité opte pour le rond, forme plus harmonieuse, mais non moins rétive. Toujours, le danseur tente de s’en emparer, mais continuellement elle s’évanouit sous ses pas pour réapparaître dans un coin en émettant avec défi une sonorité. A force de patience, il commence à saisir son algorithme, et entreprend un étrange ballet avec elle. L’harmonie commence à prendre forme, l’entité devient alors un instrument de musique. Chaque rond sonore est alors le prétexte à une note de musique déclenchée selon le rythme imposé par le corps du danseur.

Survient ensuite un moment de sérénité et de plénitude, le performeur se trouve allongé sur le sol, se laissant caresser et envahir par une forme nébuleuse verte, faite d’écume virtuelle. Ses incessants brassements sont accompagnés par des cliquetis, qui semblent nous rappeler celui d’un sonar de chauve souris. Sûrement pour souligner que cette forme détient des potentialités beaucoup complexes. Les mouvements du performeur se font imperceptibles.

Les épreuves ne s’arrêtent pourtant pas là ! Peut être pour nous rappeler, que la complétude du moment qui vient d’être vécu, n’est que le prémisse à ce qui va suivre. La forme devient un succédané de serpent qui évolue en ligne droite et à angle droit. Les mouvements du corps du danseur ne sont plus que feintes, esquives, nous assistons à une nouvelle passe d’arme entre ces deux adversaires. L’homme manquant de résistance, il tombe une nouvelle fois sur le sol, éreinté et fourbu par tant de dépense.

La prochaine saynète présente quatre barres, leur intersection formant les quatre angles d’un rectangle plus petit que le territoire de la performance. A l’intérieur de ce rectangle mouvant, le performeur repousse les bords pour tenter de préserver son espace vital. La forme géométrique est hautement réactive, en émettant un son grésillant et irritant. A un moment paroxystique les quatre barres se joignent pour n’en faire plus que deux, tel la mire d’un viseur, elle se place au dessus de la tête du performeur. Survient alors un grand flash… Le scène se transforme en un stroboscope aveuglant, alternant très rapidement le noir et le blanc. Le danseur tel un automate répète mécaniquement les mêmes algorithmes de mouvement. Deviendrait-il lui même une machine ? Tour à tour, il chute, il s’envole, tend la main vers les spectateurs. Seulement, à force de répétitions, les gestes s’épuisent pour n’être qu’à la fin, des esquisses, des intentions, jusqu’au black-out complet.

Arrive enfin le moment salvateur du bleu intense, celui qui évoque autant le vide spatial, la profondeur de l’élément liquide marin, que la fusion des sens : celle unissant le réel et le virtuel. Fini le combat, l’appréhension mutuelle, voici l’heure de la réconciliation : la forme rectangulaire bleu épouse parfaitement les gestes du performeur, devenus plus fluides et coulants. Après tant d’effort, ce dernier aurait enfin trouvé l’ombre qui lui correspond. Chacun épousant la forme de l’autre, un lien charnel les unit pour ne faire plus qu’un. Ces épreuves physiques et mentales, mettant l’accent sur la dépense immodérée de son énergie vitale, prouvent que l’on ne peut se résoudre à appréhender les formes qui sont extérieures à nous, sans le nécessaire don de soi. Ce peut être ainsi la parabole de cette rencontre, les incessants basculements entre attraction et répulsion de l’homme et de la machine recouvrerait finalement, ce moment salvateur de l’osmose et de l’harmonie.


Liens

http://www.lesiteducube.com/site/breve.php?id=79

http://www.gratin.org/as/gameplay/

http://kdmatos.free.fr/maink.htm

Vidéo

http://www.gratin.org/as/gameplay/video11.05.html

Publié sur paris-art.com