Critique EXPOSITION OFFSHORE (Ricard)

Pour cette rentrée des Rendez-Vous de l’Imaginaire, Michel Maffesoli invite Franck Lestringant, auteur, et Jean-Max Colard commissaire de l’exposition Offshore présentée à l’Espace Paul Ricard. Cette rencontre a pour principal thème : l’île, l’archipel, la plate-forme… enfin, toutes les formes insulaires qui fondent une vision du monde à la fois imaginaire et sociale, en-close, repliée sur elle-même et également tournée vers l’immensité qui l'entoure. Un imaginaire qui illustre combien il est délicieux et insolite de se retrouver à la frange de la civilisation. Une invitation au voyage mêlant fiction et réalité pour rejoindre une de ces îles, ou bien même un continent encore inexploré.
Au risque de ne pas respecter l’ordre des interventions, il faut tout d’abord présenter l’exposition conçue par son commissaire Jean-Max Colard et rendre compte de l’espace où la pensée et la langue se délient, et de l’emplacement où la créativité des artistes se matérialise.
Cette exposition n’aurait pu avoir lieu sans Le Livre des îles : Atlas et récits insulaires (du XV ème au XVIII ème siècles) de Franck Lestringant. Il inspira si fortement Jean-Max Collard, qu’il conçut une exposition dont le vecteur principal est la mobilité nomade d’une plate forme offshore. Cette exposition est remarquable en de nombreux points. Les artistes invités ont pour espace de création une unique plate forme de 20 m². Du fait de cette délimitation du territoire, les artistes se doivent de coopérer pour que chacun puisse apposer sa contribution personnelle. Cette île devient le théâtre d’un jeu d’occupation, de phagocytage multidimensionnel de son espace. Cette plate-forme aurait pour vocation de migrer d’un lieu d’exposition à un autre. Nomade, elle n’est présentée, dans la fixité de l’instant et du lieu, que pour mieux s’en échapper. Ainsi, passant d’une halte à l’autre, elle se fait terre d’accueil, conviant à chaque étape de son périlleux et auguste voyage deux nouveaux artistes. Par la succession des artistes intervenants sur la plate-forme, cette œuvre devient éminemment collective, pour mettre en exergue le sentiment d’appartenance lié à ce territoire mouvant.
Spécialiste des premières cartes et atlas, Franck Lestringant nous rappelle au début de son intervention l’étymologie du mot archipel, archipelago, qui signifiait au départ la mer et son unité. Pour exemple, dans les anciennes représentations du monde, la mer Méditerranéen était le centre du monde, embryon qui donna naissance aux trois continents qui l’entourent. Par la suite, les découvertes du XVIème siècle firent voler en éclat les convictions profondes occidentales quant à cette vision du monde. Christophe Colomb n’était-il pas empêtré dans les îles sans arriver à découvrir le contient indien tant attendu ? Pour ce dernier, l’île devient un trompe-l’œil, sa découverte oscillerait entre fascination et déception, parce qu’ensuite se déploie à nouveau l’immensité de la mer. Disparaissant peu à peu des atlas jusqu’au XVIIIème, l’archipel ne serait plus synonyme d’unité mais d’hétérogénéité. Jusqu'à ce que son sens s’inverse complètement pour passer d’une mer trouée d’îles à une île flottante dans la mer. En rendant compte de ce profond changement paradigmatique, ce Livre des îles liber insularium, recense toute l’hétérogénéité de ces formes imaginaires dans la littérature. De la Genèse à Swift, en passant par l’Odyssée, Pentagruel ou bien même Jules Verne, Franck Lestringant s’attacherait à remettre en cause toutes nos certitudes occidentales.
Pour introduire cette notion d’insularité, la quête de l’île répondrait pour Michel Maffesoli à cette « soif de l’infinie » qu’exprimait Emile Durkheim. Son imaginaire se révèlerait être l’une des figures imaginaires représentant le vagabondage et l’errance nomade. Cette île serait, en hommage à Abraham Moles qui conçut la nissonologie (la sciences des îles) le fil conducteur qui nous conduit dans le labyrinthe du vécu et l’expression du sentiment d’appartenance. Autrement dit, l’une des métaphores permettant de représenter l’« être ensemble », créant et façonnant les liens qui se tissent entre les personnes et le lieu où ils résident. Cette métaphore puissante de la communauté s’opposerait, selon Michel Maffesoli à celle de société : pour être attentatoire à l’autorité de l’état, l’île, l’archipel serait anarchiste. Selon une lecture postmoderne, le lieu fait lien, et il s’opèrerait ainsi un glissement de l’histoire à l’espace. Terrain de jeu des enfants éternels que nous sommes, l’île évoque doublement des formes de socialités paroxystiques. Elle serait le « paroxysme de l’érotisme » en se référant, non sans humour, à la série de télé-réalité « l’île de la tentation ». Mais, aussi en référence à Michel Foucault, le lieu privilégié de l’« hétérotopie » comme forme paroxystique et terreau où se réalisent les utopies. Lestringant corrobore ces propos en mentionnant l’île comme le repère des pirates.
Pour rendre compte de la diversité des points de vue, une auditrice dans la salle précise que cette île n’est pas moins inquiétante et sujette à l’enfermement (esclavage, emprisonnement…) et à la folie, notamment qu’elle permettrait à l’insu de tous, de faire des expérimentations, même les plus atroces en référence à L’île du docteur Moreau de H.G. Welles.
Comme juste retour des choses, son commissaire souhaiterait que cette exposition intègre le milieu marin, lieu mystique et point de départ de cette exposition. Et pourquoi pas le château d’If en face de Marseille, lieu qui inspira le chef d’œuvre littéraire d’Alexandre Dumas Le Comte de Monte Cristo.

Artiste invités pour l’exposition :

Olivier Babin, Virginie Barré, Stéphane Dafflon, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Olivier Dollinger, Leandro Erlich, Loris Gréaud, Thomas Lélu, Fiorenza Menini et Kristina Solomoukha L’un de ces artistes recevra le Prix Ricard S.A. 2005

Publié sur http://www.paddytheque.net/