Ctitique LABYRINTH OF MIND Mihai Grecu

S’immerger dans la dimension onirique et labyrinthique de Mihai Grecu, c’est partager l’effroi collectif que suscite notre devenir. Pour l’artiste, il serait peuplé d’un bestiaire, de clones, de parasites et de mutants, assené de proliférations virales et de catastrophes biologiques. En d’autres termes, il démontre l’impossibilité de pouvoir vivre dans les mégalopoles contemporaines, sans en évaluer les risques, et sans rendre compte de l’imaginaire riche et inquiétant qui potentiellement l’habite. Le résultat, comme le souligne le titre de l’exposition : des espaces mentaux fantasmatiques et réticulaires. Un imaginaire personnel qui court à bride abattue, sans jamais se retourner, de peur d’être poursuivi par ses propres démons.
L’exposition débute par la trilogie The nerve gas suit. Chaque opus est tiré du nom d’un gaz neurotoxique de combat. Talbun – le porteur – , les paysages deviennent polymorphes, les substances retournent à leur chaos originel. Et cela, sous les ailes d’un avion furtif, peut-être la symbolisation que tout peut arriver, sans crier garde. Sarin – l’essence – nous pénétrons sous la mégalopole parsemée d’interminables couloirs qui n’aboutissent à rien. Des êtres « humains » clonés, affublés de masques, sont allongés en stase à même le sol. Dans tous les recoins prolifèrent des parasites insectoïdes, devenant le temps du film, la nouvelle espèce dominante sur terre. Enfin, Soman – les conséquences – ou les suites de la catastrophe annoncée : l’atmosphère se trouble par une pollution toxique. On recherche les survivants. Les villes se replient sur elles-mêmes pour se loger dans les muqueuses de nos corps, le seul rempart qu’il resterait pour leur sauvegarde. Les visages se voilent, dépersonnalisés, et saturés d’informations numériques.
Dans une seconde pièce de l’exposition, on peut visionner Iron Platz : à la fois film, galerie virtuelle et version demo d’un jeu vidéo. Cette oeuvre réinvestit le genre cyberpunk, avec ses cohortes de mutants et de cyborgs. Ensuite le projet Fréon, pour l’artiste « c’est une observation frontale des instants en séquences qui rythment notre quotidienneté […] Fréon est un filtre à poussière, un aspirateur, une éponge. » Dans cette univers surréaliste créé avec la collaboration de Thibault Gleize, se côtoient des situations sans correspondances les unes avec les autres. Si ce n’est que certaines redondances surgissent de manière impromptue, tel que des cornes de mammouths, des poissons et des bâtiments mutants. Dans ce même espace d’exposition est projeté Crawl : une animation expérimentale inspirée de La métamorphose de Franz Kafka. Ce projet commun de Mihai Grecu et de Guo Ran est composé de quatre personnages, un frigo, un chat et la créature. La combinaison - montée, raccordée, arrangée, superposée, en 2D ou 3D… - de ces éléments agencés les uns aux autres, crée un monde détraqué et halluciné. Une manière subtile de critiquer, avec froideur et désincarnation, l’absurdité et le cynisme du notre.
Après les tempêtes toxiques et le vertige graphique, on peut visionner deux courts films : Metamorph 1 & 2. Installés un peu à l’écart du reste de l’espace d’exposition, c’est le moment opportun pour la contemplation et la réflexion. Sont ainsi présentées des formes abstraites organiques issues de mutation et de clonage, un juste retour aux origines macroscopiques et microscopiques de la vie.
Les qualificatifs manquent pour exprimer le décalage que l’artiste impose à notre champ de vision. On y décèle dans ses labyrinthes une lecture éclairée de l’imaginaire postmoderne et eschatologique du monde. Emprunt du genre cyberpunk, des fantasmagories surréalistes, de situations absurdes et cyniques, ces mondes digitaux sont l’expression d’un regard neuf, perdu vers l’horizon des restes légués par notre civilisation.


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