Critique ETIENNE CLIQUET



LES ARAIGNEES DE LA TOILE d’Etienne Cliquet



L’ordigami, contraction d’ordinateur et d’origami, est une pratique anachronique qui se fonde sur l’art japonais de l’origami qui consiste à plier une feuille de papier pour créer une sculpture. C’est un art du pliage assisté par des programmes informatiques permettant d’accéder à des formes sculpturales toujours plus complexes.

Les usages de l’ordigami sont pour ainsi dire infinis, la seule limite étant l’imagination de son créateur. En hommage à l’ouvrage sur le Pli de Gilles Deleuze, heureux sont ceux qui, en touchant aux correspondances qui unissent les plis de l’âme à ceux de la matière, accèdent aux portes de l’entendement et de la compréhension de ce qui nous entoure. Tout comme de nombreux passionnés du pli, la démarche artistique d’Etienne Cliquet élève le pli au rang de paradigme esthétique, de schème de pensée philosophique.

L’origami est matière à de multiples réflexions, telle que la question des réseaux, des théories de l’information, des lois de la physiques, de l’architecture, des voyages spatiaux, des processus de création artistique, de la politique, la mode, la cuisine… Toujours en quête de rendre explicite ce qui ne l’est pas, Etienne Cliquet sur son blog Ordigamiexplicare qui signifie déployer, terminer, expliquer, de plicare, plier ». Aucun domaine n’échapperait à la tautologie du plier et du déplier, et Araignées de la toile ne fait pas exception. rappelle l’étymologie première d’« explicite » : « du Latin

Pour son créateur, ces Web spiders sont l’expression de ces fameux robots, ou bots, qui parcourent sans relâche et jusque dans ses moindres recoins, le vaste territoire d’Internet, pour le cartographier et l’indexer. Pour nous, simple utilisateur lambda de moteur de recherche, ces butineuses d’informations sont des aides précieuses : sans leur secours, il serait bien difficile de cheminer dans les réticularités du réseau. Nous ne pouvons emprunter une voie, sans qu’elle ne l’ait préalablement tracée.

Ces discrètes arpenteuses dissimulent une réalité bien obscure : elles sont les agentes des sociétés de contrôle, ou bien du marketing intrusif. Avide d’information, elles s’immiscent jusqu’au tréfonds de nos disques durs ; curieuse, nos moindres dérives sont consignées. En nous conviant à la transparence de l’information, ces petites araignées cachent la monstruosité tentaculaire et virale des nouveaux maîtres du réseau.

L’on peut les considérer plus prosaïquement et métaphoriquement. Ce sont avant toutes choses des animaux qui tissent une toile destinée à la capture, constituée d’un treillis d’interconnections complexes de lignes et de points.

Cette arachnide, bien que sujette aux craintes et à la répulsion, reflète ce que nous sommes en tant qu’utilisateur et créateur du réseau Internet : des tisseurs de toile qui se déplacent dans l’espace de point en point, pour les connecter les uns aux autres. Pour être plus précis, nos déplacements dans l’hypertexture réticulaire d’Internet s’effectuent par pliage de distances. Prenez les deux bords d’une feuille, rapprochez les : la distance et le temps de trajet entre les deux extrémités deviennent nuls.

Ainsi, nous serions des travailleurs de fond de la trame, des artistes et stratèges de la rhizomatique. Et en observant le diagramme du pliage qui donnera forme aux futures araignées, on ne peut que constater que le déplié est lui-même constitué d’un réseau logique de pliages ordonnés.

Ces petites tarentules/sculptures, sauteuses et fileuses de toile deviennent la figure médiatrice de plusieurs types d’informations ; leurs fragilités n’auraient d’égale que la complexité de leur structure. Constituées par un programme, leurs diagrammes sont la mémoire « génétique » de leur forme. Pour son concepteur, c’est l’information d’une sculpture en 3D reproductible, la plus facilement diffusable sur le réseau. Enfin, l’araignée est elle-même une indexeuse de ces liaisons informationnelles.

Les Web spiders d’Etienne Cliquet, comme invitation à penser la diversité des formes d’informations, ne doivent pas nous faire oublier que c’est dans la pratique, par la répétition et la minutie du geste qu’elles prennent forme.



Texte sur Web Spider d'Etienne Cliquet pour la galerie DUPLEX à Toulouse.