Critique AURELIEN HEINRICH

DES TABLEAUX AUTRES…

Mais que m’arrive-t-il devant ces toiles ? Comment se fait-il qu’elles me perturbent et me désorientent autant ? D’où viennent ces énergies qui m’assènent, comme pur chaos d’une vitalité oubliée ? Est-ce la manifestation imagière des forces telluriques éructées par l’esprit de l’artiste ? Est-ce la porte d’un palais mystérieux, ouverte du dedans, vers un univers qui m’est totalement inconnu ? Ces questions fébriles restent ouvertes, et on ne peut les concéder qu’à la vivacité de l’œil d’un regardeur qui ne sait ce qu’est la contemplation, pour se fier à sa première impression. Celle qui semble toujours être la bonne.

Devant la composition, la stupeur doit retomber pour laisser place à la phase d’imprégnation et d’immersion en l’œuvre. Et c’est seulement à cet instant qui nous est donné de ressentir, que l’entendement du regardeur trouve un plan de consistance. C’est alors que l’osmose succède au chaos, que différents plans et scénettes se détachent, que chaque détail prend son importance et entre en résonance avec les autres. Il en va ainsi de la pluralité des techniques qui sont employées, et de leur savant mélange. Au même titre que les compositions baroques, les toiles d’Aurélien Heinrich possèdent une multiplicité de points de vue, qui pousse inexorablement le regardeur à se rapprocher et se distancer du tableau.

Tout comme les peintures rupestres, nous discernons certains archaïsmes picturaux, les formes sont évanescentes et évoquent le tâtonnement des premiers hommes dans leurs tentatives de présentifier des manifestations qui les dépassent. Mystiques ? Divines ? Surnaturelles ? Nous ne le saurons peut être jamais. Les tons ocre et les ombres de cette caverne seraient déchirés par des éclairs d’or et de métal en fusion. Aux tracé vifs et expressifs, ces coups de bombe lumineux sont pareils au tonnerre qui tonne et, tel des soleils, à des astres incandescents. En suivant leurs courbes, ils divulguent à leurs proches alentours une galaxie de motifs, de bas reliefs et d’artefacts.

La caverne se fait alors le mur d’une cité, le mur se transforme en toile, et sur celle-ci se révèlent, enfin, les coups de pinceaux de l’artiste, et autre trace de son passage. A certains endroits subsiste une trame vierge de toutes actions. Se logent alors entre ombres et lumières des détails disparates, au-delà de l’abstraction et de la figuration. Grâce à cet amoncellement hétéroclite de dessins, gribouillages, collages, raclages, trucages…, cela pousse les œuvres inexorablement vers leur autonomie, échappant même aux desseins de son créateur pour pénétrer dans le monde de la correspondance, de l’onirisme et du métalangage pictural. Seul persiste dans cette mise en abyme fractale, les émotions et affects d’Aurélien Heinrich, et cette passion toute dévorante de laisser libre cours au geste, et de ne jamais se laisser enfermer en un style.

Les peintures d’Aurélien Heinrich ont cette remarquable qualité de rendre compte d’un processus récent a contrario de la peinture contemporaine - la volonté des peintres actuels serait elle encore imprégnée de classicisme ! - : c'est-à-dire la construction de réalités hybrides. Une hybridité au sens actuel du terme, dans ce que l’on entend par procédé multi-médiatique. Ne voit-on pas dans certaines de ces toiles une pixellisation légère, hommage et pied de nez à la cathode et aux cristaux liquides. Le projet de l’artiste qui est de renouveler le genre pictural, convainc. Gageons que ce parcours initiatique nous mènera là où la raison s’égare, et aiguisera l’esprit dans la contemplation.