Critique 10 POUCES CONTRE L'INSOMNIE (HYPNOSE) Vincent Epplay

Exposition "10 pouces contre l'insomnie" de Vincent Epplay, Galerie Duplex, Toulouse.

http://www.galerieduplex.com/

Avec pour parti pris d’interroger depuis de nombreuses années la matérialité du son, Vincent Epplay démontre que faire corps avec le son n’est pas une simple vue de l’esprit issue de son imaginaire débridé, mais qu’au contraire cette démarche souligne une sensibilité exacerbée. Ainsi vivre la musique c’est accepter d’elle toutes ses formes sensibles, même les plus abstraites et expérimentales qui soient : tel est le vœu de ceux qui rentrent en communion avec elle, où audition et pratique sont inextricablement liés.
Notre culture musicale contemporaine nous enseigne que dans la profusion de ce qui nous est donné d’écouter, prédomine le mixe, le recyclage musical, la ritournelle continuellement fredonnée et revisitée, enfin ce que nomme Epplay la « reprise ». Il est essentiel de comprendre que la reprise ne consiste pas à revenir au même. Que ce soit en live ou en studio, selon le réglage des instruments, l’inspiration et l’humeur du moment de l’artiste, ou les conditions d’écoute de l’auditeur : ce sont autant de facteurs subjectifs qui influencent la perception de l’acte créatif.
Dans Méthode douce pour choisir son niveau de réalité en période d’intense propagande démocratique Vincent Epplay joue sur la correspondance entre le son et l’image, pour créer des mondes, des images mentales. Pour cela, il revisite la féconde période des années 60/70 qui connue un regain d’intérêt pour les séances d’hypnose, de relaxation et de méditation, à l’instar du 19ème siècle où se développaient le mesmérisme et la découverte du continent de l’inconscient. En somme, l’artiste réouvre une fenêtre entre-ouverte sur l’orient, et surtout, vers une frange de notre culture occidentale où importait plus le développement personnel, l’ouverture au monde, plutôt que l’accumulation de biens de consommation culturels sérialisés.
Les sonorités gravées sur le vinyle « Le disque contre l’insomnie » (Hypnose) « Méthode douce pour choisir son niveau de réalité en période d’intense propagande démocratique » seraient ainsi dotées de cette « inquiétante étrangeté » freudienne. Les paroles sereines et calmes de l’hypnotiseur, au timbre caractéristique des vieux enregistrements radiophoniques de cette époque, sont déformées, morcelées, triturées par les machines électroniques, et certaines séquences sont mises en boucle. Les sonorités, quant à elles, sont des collusions sourdes et réverbérées aux tonalités étranges et à la limite de l’inquiétant, dévoilant des bruits qui semblent provenir des tréfonds de notre intériorité physique, ou d’une bande sonore tout droit sortie de la série The Twilight Zone (La quatrième dimension). Tout ceci contribue à poser une ambiance éthérée, à bien des égards fascinante, pour toucher au plus proche notre inconscient, et favoriser, non pas l’hypnose, mais bien une ode à l’éveil et la clairvoyance. Ce genre « musical » et ambientale dont l’intérêt aurait pu passé inaperçu dans la sphère de l’art contemporain, relégué comme curiosité d’écoute à l’incomparable cachet vieillot, est exhumé du passé par l’artiste. Pour parfaire ce dispositif relatif à l’antichambre de notre inconscient, qui d’ailleurs, ne pouvait être présenté autrement que dans une pièce singulière, telle que la cave voûtée de la galerie Duplex, est couplé par la projection d’un film super 8 en boucle constitués d’extraits de films pédagogiques de cette même période. En les mixant, Epplay contourne, détourne à la manière des situationnistes leurs trames narratives principales, scolaire et didactique, pour les agencer selon sa propre subjectivité artistique.
Comme si l’auteur, dans la volonté de rendre compte de la complexité du treillis dans lequel nous baignons à l’échelle de la démocratie occidentale, a pour projet d’élaborer, hic et nunc, un contre territoire éphémère. Ou plus simplement : rapatrier notre conscience vers une réalité autre, parasitaire et virale, qui rompt le temps de l’immersion dans l’œuvre, au sein d’une atmosphère cotonneuse et rêveuse, avec nos réalités consensuelles et monovalentes, partagées par tous. Surgirait ici un oxymore d’une démocratie en clair/obscur, à la fois véhicule idéal de la transparence universelle et citoyenne, et paradoxalement devenue opaque par la patine du temps, et l’incompréhension qu’elle suscite en certaines circonstances. Le vinyle ainsi que le film font office de dispositif de brouillage pour perturber l’envoûtement du signal de la médiacratie, contre l’hypnose qu’elle impose, et dirons-nous, contre sa puissance narcotique.
Peut être que nous venons ici de devancer quelque peu l’intention de l’artiste, 10 pouces est un hommage insaisissable et fugace à ceux qui recherchent de nouvelles réalités et connaissances, comme témoignage des mouvements contre-culturels expérimentant par tâtonnement l’accès à la plénitude et à de nouvelles réalités vécues. Le vinyle symbolise la réappropriation de la musique par tous, comme matière éminemment plastique grâce au rapport haptique qu’il confère. Ce « doux électrochoc » ou « sains décalages » est une invitation de Vincent Epplay à se dessaisir de la pesanteur du monde pour pénétrer dans un onirisme intense et anachronique, auquel le réel précisément n’aurait pas accès.

"Le disque contre l’insomnie" (Hypnose) "Méthode douce pour choisir son niveau de réalité en période d’intense propagande démocratique", Disque vinyle, 25cm, Ed. PPT Stembogen 2007 et Le104 cent quatre. Graphisme et textes : Denis Chevalier.

PPT [édition et programmation transdisciplinaires] http://www.e-ppt.net 
Label : Stembogen http://www.myspace.com/stembogen
Le104 cent quatre http://www.104.fr/