Critique ALLER RETOUR VIRTUEL (Main d'Oeuvre)

Exposition du 15 février au 17 mars 2007 à Mains d’œuvres.

Avec pour parti pris de pénétrer dans la matérialité de la virtualité, cette exposition nous démontre de manière forte intelligente les porosités entre ce que nous considérons encore actuellement comme virtuel et réel. Ne sommes-nous pas désormais dans le régime l’entre deux et de la fusion hyperréelle de ces contradictions ? L’impossibilité dialectique de vouloir réunifier ces deux mondes serait consommée, et ne faut-il pas voir en cette exposition une nouvelle preuve de ce qui se trame. En d’autres termes que les ponts et portes sont enfin édifiés et qu’il faut désormais prendre en considération que ces allers et retours prennent consistance en des œuvres non plus originales, mais à considérer comme des épiphénomènes naissant de l’interprétation mutuelle du réel et du virtuel.

Pour accéder au virtuel, rien de plus commode que de passer par l’interface de la surface plane de l’écran, premier interstice nous promettant l’accès, à ce qui semblerait corporellement refusé. On concède communément que les mondes engendrés ou représentés émanant du virtuel font appels aux techniques de l’imagerie numérique, mais pas seulement, car dans cette exposition il n’est plus question de technique en soi mais d’interroger les réelles significations du virtuel. En cela, l’emploi de toutes techniques est salutaire et toutes intentions méritent de prendre consistance. Ainsi, hormis les travaux de Nam-Kee Hong - « Mr.Hong » - et de Laurent Pernot - « Des lendemains radieux » -, le premier jette un regard cynique et acerbe sur la culture patriarcale coréenne, tandis que le second sublime l’environnement dit « naturel » et l’urbanisation par un élan poétique, les autres artistes questionnent la perte du sens des réalités. Et, comme nous le verrons, certains méfaits de l’abstraction issus de la virtualité. Sous les beaux auspices lumineux et mêlés de l’allégresse de la fête, « Fire-works » dénonce le principe de la mondialisation, qui s’applique désormais avec force par le forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) Il va s’en dire que chaque « progrès » que suscite une vision « éclairée » du monde, grâce aux outils de simulations informatiques - agissant directement sur les variables économiques et politiques - se traduisent sur le terrain par des catastrophes que chacun est à même de mesurer. Tandis que Pernot tente de réconcilier l’artificialisation de la ville et la nature originelle au travers de l’innocence du regard d’un enfant, Hyun-myung Kim et sa vidéo « The dream of digital city » exprime les travers de l’être dans la ville, perdu et mélancolique devant la nouvelle nature urbaine qu’engendre la culture. Cette ville qui se déploie à l’infini, fait partie de nos univers fictionnels et le personnage que met en scène Seong-hoon Park dans « In the prologue of the end » est en proie à dissoudre son identité jusqu’à ce qu’un accident mette un terme à ces divagations.

Avec cet autre groupe d’artiste la matérialité prend petit à petit le pas sur l’illusionnisme et la fantasmatique que procure la virtualité. Ces artistes, en l’arraisonnant, repousseraient toujours plus loin les limbes évanescentes de l’impossible. Devant nous se dressent des œuvres hybrides qui lentement oscillent entre les deux bornes de l’immatériel et du matériel, sans pour autant se rencontrer. Il suffirait pour cela de prendre le point de vue déformé du haut d’une « machine balançoire » selon Argentinelee, ou ériger un totem voué au culte des médias, tout en dénonçant l’absurdité de son contenu : un poisson qui désir devenir une sirène, se retrouve tout compte fait homme tronc à tête de poisson. Rien n’est impossible, ni sacré dans le virtuel. Pour Yu-jun Ye l’idéal auquel l’on espère toujours accéder est le plus souvent court-circuité par la vacuité du contenu et les dératés qui l’anime. L’installation de Mirjam Fruttiger, couplée d’une photographie, nous enseigne que l’horizon des possibles est à notre portée, et pourquoi pas considérer le devenir-corps d’un table ou le devenir-table du corps. Tel un écho ou une mise en abîme, nous retrouvons cette même mise en scène sur différents plans : la photo que je vois provient-elle d’un objet tiré du réel ? ou l’installation en place et lieu de l’exposition n’est qu’une fidèle représentation d’une potentialité encore émergente ? On se jouerait de nous, si ce n’est que les sujets familiers sortis de leurs mythologies quotidiennes basculent vers de nouvelles tangentes.

Après ce périple qui prit sont essors dans le prisme cristallin de l’écran, et qui surgit de manière intermittente et transitoire, nous voici de retour dans une certaine matérialité. Celle de l’ici et maintenant, c’est-à-dire de la mise en présence, de la mise au monde d’objets dont l’immatérialité nous semblait inaccessible jusqu’à ce que cela arrive… Par le dessin, Filomena Borecka nous retransmet une météorologie bien singulière et plurielle : le geste synthétiserait sur le mur le brassement des humeurs humaines. Au regard des molécules atmosphériques et ambientales que dégagent une ville ou bien même le cyberespace : tout n’est que flux, reflux et naissance de vortex. Le temps, qui est de l’ordre de la variabilité, de la subjectivité vécue, est pour Jean-Baptiste Couronne le prétexte dans ses deux installations, « Fontaine » & « Paulmann », pour créer ses propres instruments de mesure. Sous l’action de Yu-Cheng Chou le ciel et l’eau se confondent, l’angle droit du mur devient courbe et la barque qui évolue dans cet univers ne conserve que sa forme et tend à se confondre avec le fond. L’ailleurs que figure cette installation/carte postale n’a jamais été aussi présent, et paradoxalement, aussi évanescent que dans cette installation.

Cette exposition tente d’actualiser le virtuel, afin de restituer toute la permanence et les influences qu’il induit sur nos existences terrestres. En cela, pour exister le virtuel se doit d’être actualisé en un algorithme, une fiction, une image, et mieux encore, prendre consistance en un objet. En conséquence ce qui est virtuel serait déjà réel, et c’est pour cette raison que cette exposition met un point d’orgue à la mise au monde de la virtualité vers sa matérialité. Un monde virtuel qui à juste titre est recroquevillé sur lui-même, tel un oiseau dans sa coquille, comme l’objet « Balalalade » de Julien Jassaud, et qui ne demande qu’à surgir et à contaminer notre vécu. La ville et le quotidien, comme thèmes récurrents de cette exposition, sont les mieux à même d’exprimer la complexité de cette relation. Ce sont ces ponts et portes mentionnés au début, car ils en capteraient les conséquences les plus concrètes. Tel les grecs qui représentaient leurs dieux par des statues, il ne faut pas oublier que le virtuel n’est pas sans incidences sur nos réalités, et que chaque allers et retours nous compromettent dans la non-distinction de ce que l’on dénomme encore par virtuel et réel.

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