Critique VERT

Vert est une exposition collective qui a lieu du 10 février au 22 avril 2006 à la galerie Fraichattitude. Sont présentées les œuvres de Matali Crasset, Catherine Nyeki, Christophe Dalecki, Tomoko Mitsuma et Pascale Peyret, avec une scénographie d’Emilie Faïf.

Le vert, une couleur appétissante et apaisante, symbole de la mère nature dans toute la splendeur de sa renaissance printanière, nous rappelle avec cette exposition qu’elle ne doit être en aucun cas négligée. C’est en la poussant dans les retranchements de l’artificialité et de sa virtualité, que l’on prend conscience, ne serait-ce que quelques instants, de la fragilité et la sensibilité dont elle est empreinte. A l’heure où le virtuel et l’espace urbain se déploient, recréer la nature en la transcendant, c’est nous offrir l’illusion qu’elle peut se trouver ailleurs, là précisément où on ne l’attend pas ! C’est vouloir entretenir une nouvelle forme de dialogue avec elle, aiguiser nos sens et les mettre sans dessus-dessous.

Quand on détient l’art et la manière de présenter un plat, le piquant du cactus, le lisse des plantes grasses, autant que le touffu de petits arbrisseaux, peuvent être des mets très appétissants, jusqu’à en exciter nos papilles gustatives ! « Mangez des plantes ! » voici l’invitation de Tomoko Mitsuma. Ce buffet de plantes printanières « Spring Cake Buffet », est présenté avec toute la sobriété et l’efficacité de la culture japonaise de l’artiste.

« Du toc, du plastique ». Les instruments faisant partie du quotidien du jardinier peuvent être le prétexte à la création d’un jardin. N’est il pas le lieu imaginaire et privilégié où se situerait le centre du cosmos, propice à toutes les rêveries ? Et ne pourrait-il pas, en conséquence, prendre forme grâce aux outils de sa propre création ? Christophe Dalecki en agençant des arrosoirs, des tamis, des tuyaux d’arrosages, et objets en « plastoc » en tous genres, utilise la propriété qu’a le plastique : celui de reproduire, dans ses formes et ses textures, l’organique.

Pas à pas, la nature semblerait nous échapper, mais toujours pour Pascale Peyret « La nature reprend ses droits » confiant en sa « mémoire verte » (« Green memory »). Sortant d’un treillis de métal, de l’herbe pousse, peut être folle de croître en un pareil endroit, auprès d’immeubles faits de composants électroniques en tous genres. Cette installation est une première mise en abîme. Des photographies de part et d’autre de l’installation présentent un monde bien inquiétant. Dans les entrailles d’une méga-structure industrielle aseptisée, des plantes déploient leurs rhizomes. On ne sait d’où viennent leurs germes, ni dans quel terreau elles poussent, mais une chose est sûre, à l’image de la bande dessinée Megalex de Fred Beltran et d’Alexandro Jodoroswki, le combat est loin d’être fini pour reconquérir leur espace vital.

Matali Crasset, collaboratrice du non moins célèbre Philipe Starck, présente « Green sound station » un espace d’écoute domestique, en reprenant le motif abstrait de deux arbres (en plastique) dans un pot en suspension en l’air. Un I-pod logé à l’intérieur restitue les bruissements de la nature.

Après les installations plastiques, sonores et les images numériques, la nature, dans cette exposition, se déterritorialise, pour prendre les chemins de la virtualité numérique. Catherine Nyeki présente ainsi « Mµ Herbier », une œuvre interactive, une vidéo « les mains vertes », accompagnées de tirages numériques de la série des « Cotonneux ». Dans « Mµ Herbier » nous prenons connaissance d’un nouveau règne, moitié animal et végétal. C’est un laboratoire qui permet au spectateur de bouturer et d’expérimenter de nouvelles formes d’êtres hybrides aux corps protéiformes et « rhizomorphes ». Les lois qui les régissent ne correspondent plus à celles de la nature, mais à l’imaginaire personnel de l’artiste. Dans la vidéo « Les mains vertes » le thème de la régénérescence est abordé. Deux mains vertes apposent une à une sur le sol des branches mortes ; des formules incantatoires d’un chaman ou d’une existence organique irréductible se chargent de leur redonner la vie. Une vie qui débuterait par l’apparition de moisissures blanches à leur pourtour, puis par le grouillement d’une sève verte.

Raconter la nature selon un mode poétique et rendre compte de sa biodiversité par le prisme des nombreux médiums qui jalonnent cette exposition, ne laisse pas indifférent celui qui la regarde. De manière sous jacente, cette exposition soulève une question d’ordre éthique dans le rapport que nous entretenons avec l’environnement naturel. Seulement, ce n’est pas par le bruissement d’une feuille dans une prairie, ni peut-être en utilisant des ustensiles de jardinages que l’on est à même de rendre compte de la détresse et de la tragédie qui à lieu sous nos yeux. Ne faudrait-il pas appréhender la nature de manière plus frontale et exigeante ? Certains des artistes présents touchent au nœud de ce problème. En suggérant des goûts impossibles (Tomoko Mitsuma), la possibilité de jouer à son aise avec elle (Catherine Nyeki), où en confrontant le spectateur à sa propre disparition (Pascale Peyret), ces œuvres ne manqueront pas d’attirer notre attention. Faisons en sorte que cette couleur verte ne soit pas qu’un souvenir déclenché par son spectre de lumière.

Si vous désirez continuer cette dérive sur Internet, voici un lien qui pourra à loisir vous ravire…

http://www.1stavemachine.com/

http://www.galeriefraichattitude.fr/

publié sur http://www.paddytheque.net/