Critique TRANSMISSIONS ICHIM 2005

Les neuvièmes rencontres internationales sur la numérisation du patrimoine et l'émergence des cultures numérique ICHIM a proposé l’exposition TRANSMISSIONS. Elle eut lieu du 21 au 22 septembre 2005, et exposa une trentaine d’artistes. Cette exposition a pour volonté de « cristalliser la transversalité de la créativité entre arts, sciences et technologies ». Bien que l’on regrette sa courte durée (2 jours), on ne peut que féliciter l’initiative de convier les artistes à être présents auprès de leurs œuvres, afin d’expliciter au public leur démarche créatrice et toute la subtilité des techniques employées. Ou comment combler le fossé de l’incompréhension vis-à-vis de la création de l’œuvre d’art numérique, et créer un dialogue entre l’artiste, le scientifique et son public. Cette expérience débuta en 2004, au dernier ICHIM qui eut lieu à Berlin. Lors de cette exposition 2005 toutes les préoccupations inhérentes au numérique furent réunies sous plusieurs thématiques.
Dans thème Ecran-Surface, l’écran n’est plus ici confiné sous sa forme première pixelisée. Avec Net flag du collectif Pleix, il est surface vidéo projetée d’une vision kaléidoscopique du monde, recueillie par pas moins de 1609 web-cams. De manière originale et poétique, l’écran devient eau. Dans Tension superficielle d’Elise Mougin, l’écran est réduit à sa plus simple expression : la fine pellicule d’une bulle de savon soumise aux déformations de la respiration et aux aléas atmosphériques du lieu d’exposition. Avec Bit.fall, il tombe littéralement du plafond une pluie de mots pixélisés par des gouttes d’eau. L’information qui est ici symbolisée par la fluidité de l’eau exprime une interrogation fondamentale sur sa temporalité, selon les propos de son créateur Juluis Popp : « pour quel temps l’information est-elle importante pour nous ? ».
Dans Corps-Interface, Caractère de Benjamin Gomez est le transcripteur typographique de nos émotions qui circulent au travers de la frappe des touches de l’ordinateur. Dans cette même veine, où les relations haptiques et kinesthésiques (sens du mouvement) avec l’ordinateur revêtent une importance toujours plus conséquente : Se touche toi v.2. Gregory Chatonsky y interroge le paradigme œil-main. Dans Incremento, le corps de l’artiste Vincent Ciciliato est mis en scène. Par la capture d’un simple geste, on peut influer sur la vidéo où l’artiste se dévêtit et se revêtit sans-cesse. Faire perdre au public toute notion du réel, en l’immergeant dans un cube, est le let motiv de l’installation Fishing de YI-Hua WU. La métaphore d’œuvre immersive est interprétée au pied de la lettre : sont projetés sur quatre faces du cube des films ayant pour thème l’élément liquide.
Sonics Expériments aurait pu certainement s’appeler autrement, tant l’implication du corps dans le domaine du son est grande dans ces trois installations. Dans un premier temps, c’est reacTable du Music Technology Group (MTG), une interface d’un nouveau genre pour produire de la musique électronique. En bougeant physiquement des objets sur l’espace d’une table, on crée en simultané, par une infinité de combinaisons, une topologie sonore que l’on peut à loisir moduler en live. En second lieu, Phase est un système générateur de sons et d’immersion visuelle. A l’aide d’une commande haptique multidimensionnelle munie d’un retour de force, on est en mesure de faire évoluer un objet dans l’espace, et en extraire toute la variété de ses timbres. En troisième et dernier lieu, OP_ERA : Haptic Wall, conçut par Daniela Kutschat et Rejane Cantoni, est une interface murale qui permet de sentir de manière haptique les sonorités recueillies par un microphone : les sons sont transposés en informations tactiles, restitués par un mur parsemé de capteurs.
La thématique des Réalités Hybrides est un terrain en pleine expansion, les situations qu’elles engendrent ne sont encore qu’à leurs balbutiements, mais elles sont déjà la preuve d’une extraordinaire diversité d’application pour en faire une thématique majeure de cette exposition.
Global Positionning System est la première de deux sous-thématiques présentées. Dans Bikes Against Bush, Joshua Kinberg démontre comment les revendications et critiques des politiques urbaines qui passent à couverts, dissolues dans l’Agora des mails et blogs du réseau Internet, peuvent être retranscrites à même la rue. Grâce au détournement d’un véhicule aussi simple qu’une bicyclette et les dernières avancées technologiques. Can You See Me Now ? de Blast Theory et Uncle Roy All Around You? de Shot in ICA, sont tous les deux des jeux en ligne qui se placent à la confluence des jeux en réseaux et des jeux de rôles grandeur nature grâce à la technologie du GPS. LifeClipper de Jan Torpus, est un jeu en extérieur de réalité augmentée, grâce auquel le joueur se trouve plongé dans « un film participatif ». Ce dernier est confronté pendant ses pérégrinations urbaines aux transformations incessantes du paysage en temps réel, grâce à un ordinateur portatif. Le professeur Sekiguchi utilise un dispositif VRGPS qui accroît de manière significative la localisation, GEO-Media Art Content Project est un outil de visualisation de l’espace permettant de créer une infinité de réalités virtuelles.
Enfin Augmented Réality est la seconde sous-thématique. Avec Audio Space, de Théodore Watson, on est invité à expérimenter un espace sonore interactif. Grâce à un dispositif de casque, nos propres paroles sont recueillies, pour être ensuite mixées et couplées avec celles des derniers participants. Enfin, le son nous est restitué en 3D, en fonction de nos circonvolutions dans l’espace destiné à la performance. Museum Wearable de Flavia Sparacino et d’Etienne Trouvers est en premier lieu la démonstration inédite d’une technique de reproduction numérique d’une œuvre d’art picturale, en l’occurrence des œuvres de Gaugin. Et en second lieu, c’est la création d’un dispositif portable de réalité augmentée qui permet de dispenser des informations au cours d’une visite dans un musée selon le propre rythme de parcours des visiteurs.
Labo spatio-temporel comme son nom l’indique, trace de nouvelles voies dans les méandres de l’expérimentation artistique. Dans Me-Ror Version 2, Vadim Bernard présente un outil expérimental permettant de créer de nouveaux formats vidéo, au moyen d’infrarouges, de filtres, de superpositions de RVB (rouge, vert et bleu) et en 3D. //**Code_UP, de Giselle Beiguelman est un dialogue conceptuel avec « Blow up » de Michelangelo Antonioni, le public participe à l’élaboration d’une œuvre collective, en recueillant, puis en manipulant des images d’une rare puissance visuelle. Enfin avec Ant[tic], Ali Momeni propose une installation comportant quatre écrans, caméras et ordinateurs. Elle analyse les mouvements afin d’isoler certaines gestuelles tels que les tics ou mimiques, et les moduler en temps réel.
L’Archivage et Indexation soulèvent de nombreuses questions, et les artistes ne sont pas en reste devant ces nouveaux enjeux. En partant de la malheureuse hypothèse que 50 à 90 % des langues parlées dans le monde disparaîtront, les artistes japonais Takumi Endo et Nao Tokui élaborent le projet Phon:e:thica. Un projet qui cartographie cette disparition programmée, en explorant toute la diversité phonétique de presque 6000 langues. Ce projet de grande envergure débuta en 2004 et ne finira qu’en 2007, en subissant plusieurs évolutions. They Rules de Josh On And Future Farmers est un site qui permet de cartographier les arcanes du pouvoir des grandes compagnies nord américaines, et leurs réseaux de relations individuelles sous-jacentes. C’est un outil d’investigation sociologique, autant que politique, pour rendre compte de ce monde des affaires. Ce souci d’archivage et d’indexation suscite de nombreuses interrogations. Et la preuve en est faite par l’ICHIM qui présente une liste non-exhaustive de travaux d’artistes qui détournent, se réapproprient et critiquent ce fameux méta-moteur de recherche qu’est Google. Car plus qu’un simple outil de recherche, c’est l’outil référentiel et « existentiel » de la mémoire d’Internet. Il rend compte notamment de la « valeur » de l’information et ses réticulations dans le réseaux.
Il ressort de cette exposition, très prolixe, deux thématiques sous jacentes et transversales : la puissance créatrice qu’offre la métaphore de l’eau, et l’interaction homme/machine, avec un regain d’intérêt pour les sensations haptiques et kinesthésiques. La première est la métaphore de la fluidité et de la circulation généralisée de l’information et de l’immersion dans les réalités virtuelles. La seconde relève d’un affinement des interfaces, ces dernières ne se réduisant plus à la vision de l’écran, ou à la simple utilisation d’une souris. De même, les réalités hybrides revêtent une importance majeure lors de cette exposition ; le temps et l’espace sont soumis aux distorsions empiriques des artistes. Cette exposition a permis de présenter le fruit de la collaboration entre les artistes et les scientifiques. Leurs travaux ne se limitent pas à la performativité technique, mais à la création et l’expérimentation de nouvelles formes d’expressions artistiques. Cette matière à penser qu’est le numérique renfermerait, au dire de certains, encore bien d’autre potentialités non exploitées.

Publié sur Parisart