Critique TOKYO REEGINEERING

Le site TOKYO REEGINEERING crée par Eric Sadin a remporté le prix Pompidou : les mots mis en scènes, au Flash festival 2004 (Réalisation technique Gaspard Bébié-Valérian). Ce site fut présenté sous sa première version en France lors d’une performance multimédia à la galerie Immanence. Tokyo Reengeneering n’est qu’une facette d’un plus vaste projet qui s’intitule « Tokyo », le texte va bientôt paraître. Eric Sadin est aussi écrivain et dirige également la revue éc/artS.
Cette œuvre multimédia part du constat d’un profond bouleversement de la structure narrative du texte, et plus largement de l’utilisation culturelle des signes et des codes qu’offrent désormais les nouvelles technologies multimédias. Tokyo Reengineering est un essai poétique et expérimental sur la notion d’hypertexture, c'est-à-dire une texture narrative informationnelle complexe mêlant texte, image et son, et ce dans le contexte de leur circulation généralisée à l’échelle planétaire, en somme ce que l’on dénomme par Internet, le Web…
Cette hypertexture fluide et mouvante, selon son créateur, ne se supplée en aucun cas aux textes imprimés, les textes en présentation du site sont les leitmotivs de cette expérimentation. En préservant l’unicité de ces textes, Sadin explore toute la multiplicité des hybridations qu’offrent les supports multimédias, ce qu’il entend par la faculté de passer d’un code à l’autre. Il n’y a plus une économie générale du texte au sens saussurien, mais une dépense vertigineuse et consumatoire du code et des diverses codifications de la narration.

Cette œuvre multimédia a été réalisée dans le cadre d'une résidence à la Villa Kujoyama (Kyoto, AFAA, Ministère des Affaires étrangères). On ne peut que recommander ce site à ceux qui sont fascinés par la culture pop japonaise et plus largement asiatique. L’effervescence culturelle et technologique qui se dégage des mégalopoles japonaises, désigne le Japon comme l’un des pôles expérimentaux des nouveaux modes de vie future. Avec une mise en scène soignée et une ergonomie ludique, ce site produit des effets de saturation et de prolifération visuelle (enseignes de néons, flyers, logos publicitaires, cartes de visite, écrans de toutes sortes…) et sonore (karaoké, musique techno, téléphone portable à reconnaissance vocale, I-mode…). Cette même ambiance vertigineuse dans laquelle sont immergés les tokyoïtes et que partagent tous les habitants des grandes mégalopoles contemporaines. Il est à noter que l’inscription du corps n’est pas pour autant oubliée. Il est soumis aux instruments de mesure biométrique, aux trakers (appareillage qui relèvent les modes de consommation dans les grandes surfaces), à l’omniprésence du regard des caméras, et sans oublier le braille pour une lecture sensitive du texte. Il est enfin connecté à toutes sorte de prothèses et d’interfaces électroniques.
Ce site labyrinthique et prolixe en ambiances se place à la confluence de l’anticipation, du rêve éveillé et de la réalité technologique. Une réalité toute quotidienne qui n’en est encore pour les occidentaux qu’à ses prémisses…

Publié sur parisart.com